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10 octobre 2011 1 10 /10 /octobre /2011 15:27

 

Article paru dans le Journal de l'Ile de La Réunion en juin 2011 :

 

 

JIR 1

 

 

 

essais

 

Notes de lecture, par Cikuru Batumike, parues le 8 septembre 2011 dans Agence Presse Médiatropiques :

Une idylle sur l’île

Filed under: Notes de lecture by ciba —8 septembre 2011

par Cikuru Batumike

 « Sur Feuille de Songe… » est le premier roman de Catherine Pinaly. Il vient d’être publié aux éditions L’Harmattan, Paris. Le livre est servi par une plume fraîche et remarquable. Il est de la meilleure veine sentimentale, poétique, ethnographique et psychologique. L’auteur rend compte de toute une vie, qui conjugue l’amour et la mort. Notes de lecture.

Pour se mettre dans la peau d’Axel Brieuc, son personnage principal, Catherine Pinaly a recouru à l’analepse; un retour sur des événements antérieurs. En effet, par le biais d’une histoire d’eau, de sel, de sangs mêlés, en vingt-huit jours, il conte à sa fille Violette, un secret de famille, à travers ses péripéties dans une ancienne île Bourbon appelée la Réunion, au milieu des personnages en mouvement, s’exprimant en créole réunionnais.

Le roman se passe au 19e siècle.

Année 1878. Année à laquelle l’île de la Réunion est dévastée par un cyclone, faisant disparaître des familles entières, entraînées par les torrents. Avant (ou après?) le désastre, Axel Brieuc, un paludier de 28 ans, quitte Guérande, en Bretagne, pour Saint-Denis, à la Réunion. Il vient de décrocher un job auprès d’une aristocrate métisse, Louise de Lygnes, 38 ans, propriétaire d’une concession léguée par son père. Un couple de domestiques, quelques engagés pour les rares cultures et un jeune pâtre lui tiennent compagnie. En ce lieu de villégiature, son habitation, La Chamade surplombe plus de deux hectares de terre en ruine, dont une partie regorge de sel inexploité. La culture du café est en chute libre.  Les girofliers sont devenus sans intérêt. La sécheresse a rendu une large bande de terre impropre à la culture. La saline reste la seule alternative, pour Louise de Lygnes, de rendre la propriété rentable. Le projet nécessite l’implantation d’une pompe actionnée par des mules et des machines à vapeur pour amener l’eau dans des bassins. L’arrivée d’Axel Brieuc intervient au moment où Louise de Lygnes est au bord de la crise de nerfs. Elle vit dans le désespoir de ne pas sauver un bien que son époux ne veut plus. Elle nourrit le sentiment d’avoir été souvent abandonnée. Sa mère quitta son père pour rentrer en métropole alors qu’elle était encore enfant; son père mourut trop tôt; son mari Théophile de Lygnes, s’avéra plus un compagnon volage et aventureux qu’un mari sur qui s’appuyer. Théophile de Lygnes ne se sent pas heureux à La Chamade. Il le fait savoir par ses longues absences, séjournant loin de là, particulièrement à Madagascar, où ses autres affaires prospèrent.

Pour l’amour d’une île et d’une femme.

Entre le projet de plantation de la saline et le quotidien, la vie d’Axel Brieuc se remplit vite.  Il n’est pas architecte. Il n’est pas géologue. Il n’est pas maçon. Pourtant, il s’accommode bien de ce nouveau job dans ce paysage miraculeux. Louise de Lygnes est une créature qui ne le laisse pas indifférent. Dès le premier jour, il succombe au charme de l’aristocrate. Pour cette beauté qu’il découvre, il est prêt à tout donner. « S’il faut creuser cette terre de rocaille avec mes ongles pour élaborer canaux et bassins, je le ferai… » (p-26). Il manifeste une dévote admiration qu’accompagnent, en l’absence du mari, des romances et des valses que Louise joue au piano, certaines soirées. La compagnie de Brahms, Chopin et Bizet le réconforte à l’idée qu’il vient de rencontrer la femme de sa vie. En dépit de son état marital. « J’ai l’âge de me sentir investi d’une mission, non seulement concrète et prosaïque -celle d’édifier les salins- mais aussi plus immatérielle, celle de tendre une main davantage amoureuse qu’uniquement amicale, à une femme encore jeune et désirable, que je souhaite plus que tout séduire » (P.38)  Entre la mise en place de la saline et son admiration pour Louise de Lygnes, son cœur balance. Il passe ses journées à apprécier, depuis la varangue, le beau paysage des lieux, ces « parterres de fleurs fouillis où se mêlent dans un désordre peut-être plus organisé qu’il n’y parait au premier coup d’œil, plantes venues de tous les endroits du monde, en une extraordinaire palette impressionniste. »  De temps en temps, il emprunte l’allée de palmiers élancés que lui a fait visiter Louise de Lygnes. Il va prendre un bain de mer avec, parfois, de bonnes surprises : « j’entr’aperçois la ligne musclée de ses jambes, le léger renflement de son ventre et ses deux seins aux tétons dardés que l’étoffe mouillée, plaquée contre son corps, révèlent avec une indécence dont elle n’a pas conscience. » (p.35)  Les jours passent et les journées s’enrichissent en lectures, en promenades un peu tardives sur les terres de la concession ou en croquis de lieux ou de figures qu’il couche sur des calepins vierges.

Le tortueux chemin de l’amour.

La dévote admiration d’Axel Brieuc pour Louise de Lygnes est évidente. Il s’intéresse aux moindres détails dans son habillement, dans sa façon de marcher, de parler et de respirer. Des idées merveilleuses le poursuivent et « dans le secret du grand lit sous le voile de la moustiquaire, je peux laisser libre cours au désir et à l’émotion » (P.52). Certes, Axel Brieuc vit un conte de fées, mais, à l’occasion d’un retour inattendu de Théophile de Lygnes à la maison, il est pris par un sentiment de jalousie.  Il a beau s’échapper de La Chamade pour des heures de ballades, loin de là, à Saint-Leu; il a beau rencontrer Eve une femme aussi entreprenante qu’entraîneuse qui lui voue son amour, sur fond des rumeurs sur les Lygnes, rien n’y fait. Son sentiment d’amour pour Louise est loin de s’altérer. Paradoxalement, Louise ne déclare pas sa flamme à Axel. Le déclenchement de l’attraction irrésistible et fatale entre les deux ne se met pas en marche. Mais pas pour longtemps. Certes, elle s’amuse bien de cet amour offert sur un plateau. Mais, à l’occasion de quelques jours de repos pris dans le cirque de Mafate, loin de La Chamade, elle ouvre la brèche sur un amour jusque-là impossible. Alors qu’ils s’allongent l’un près de l’autre, dans une case mis gracieusement à leur disposition par les femmes des lieux, Louise fait allusion à l’asag telle que la pratiquaient les chevaliers médiévaux « passer toute une nuit allongé près de son amoureuse, en lui prodiguant certaines caresses sans jamais satisfaire son propre désir… » (P. 129)  Des signes, mais pas des passages à l’acte. Axel est un homme déterminé. Il sait ce qu’il veut. Le jour J arrive, lorsque, le couple insolite qu’ils forment, observe médusé, depuis un rocher, durant une demi-heure, une baleine jouer. Sa passion amoureuse est, enfin, récompensée : « la main de Louise a glissé de mon bras à ma propre main pour venir s’y lover. Je n’en reviens pas : ni du spectacle extraordinaire que l’animal mythique nous donne…ni de cette main qui tout d’abord s’abandonne, puis s’enhardit à quelques caresses appuyées… Je retiens mon souffle… »

Les événements se précipitent jusqu’à cet instant magique où « Louise, d’un geste rapide et brusque, ôte sa robe, son jupon, sa chemise… (…) Nous gardons les yeux ouverts, peut-être pour mieux jouir de la transgression (…) Je deviens homme. » (P.172)

De la poésie à lire, à relire.

« Quand je passe devant le bassin, je joue à faire rouler des gouttelettes sur les grandes feuilles qui les transforment en perles d’eau et je me répète tout bas souvent la jolie formule : comme l’eau glisse sur feuille de songe… »  Le titre du livre est un hymne à la sagesse humaine : la vie doit glisser sur nous, comme des gouttes d’eau, avec douceur, sans laisser d’empreintes. Comme le dit une expression créole : une chose malveillante ne nous atteint pas si nous y restons indifférents. Il faut laisser parler une personne qui nous est désagréable. Axel Brieuc est un homme qui a gagné une paix intérieure parce qu’il a accepté ses paradoxes : un jeune épris d’amour pour une femme de dix ans son aînée, en dépit des qu’en dira-t-on. C’est un homme optimiste, parce qu’il a  transformé ses insuffisances en actions positives : s’engager dans un travail qu’il ne connaissait pas, avec le courage et la volonté de réussir. C’est un homme de foi: en quittant la France pour des horizons lointains, il voulait donner un sens à sa vie. Il voulait s’ouvrir au monde, en restant curieux du mode de vie des autres, en étant sensible à la beauté de la nature, à « ce sentier qui m’ouvre les portes d’un monde nouveau, d’un monde en lien avec les temps originels et que rien encore n’est venu dégrader… » (P. 121)

Un roman ethnographique

« Sur Feuille de Songe… » est émaillé de descriptions des mœurs et des coutumes des populations indigènes. Roman ethnographique s’il en faut, il constitue un témoignage précieux de la vie quotidienne des habitants de l’île en termes de mode de vie, de valeurs, de traditions,  de rituels et de ressources humaines. Vie quotidienne, en pleine période de l’expansion coloniale, trente ans après les décrets français d’abolition de l’esclavage dans ses colonies. Il conte avec précision les périodes de carême et jeûne dans quelques coins des hauts de l’île; le bien fondé du rythme des récits qui l’accompagnent, des rituels de purification par la marche sur le feu.  Il nous met l’eau à la bouche avec les habitudes alimentaires: la gelée de goyaviers sur une tranche de pain; du lard fumé et de cari ti jacque, la salade de fruits à l’orange, agrémentée de cannelle et de rhum, le sirop de tamarin…  Il nous prend la main pour nous accompagner à une séance du séga, la danse que pratiquaient les anciens esclaves. Une danse originaire de l’Afrique de l’Est qui se déroule, encore de nos jours, sur fond de démonstrations folkloriques hautes en couleurs. Les esclaves africains entonnaient et dansaient lascivement aux rythmes d’instruments de fortunes confectionnés avec les ressources locales tels les peaux d’animaux et les bois, cailloux. Des rythmes qui se retrouvèrent dans toutes les Mascareignes et aux Seychelles, dans une créole locale. Il nous fait voir le mode de construction des cases, l’usage de la lumière par le biais des lampes traditionnelles, cette « débrouillardise n’a pas de limite dans ce lieu isolé du monde pour tâcher de ne pas trop rester dans le fénoir ! »

Un brin de psychologie

« Sur Feuille de Songe… »  présente deux aspects psychologiques à retenir. Premier aspect : un triangle dramatique dans lequel il y a le persécuteur, la victime et le sauveur. Ils assument parfaitement leurs positions dans la vie. Ils jouent le jeu, dirait Eric Berne et finissent par changer de rôle. Deuxième aspect : passer d’une identité à l’autre. Psychologiquement, cette nouvelle identité lui a apporté la confiance, la sûreté et la paix intérieure. Dans des moments de silence, Axel Brieuc communie avec lui-même, pour magnifier un « chez moi » qu’il n’a jamais eu auparavant. « Voilà ma terre d’accueil, celle qui fait mon bonheur présent; pour rien au monde, je ne reviendrai en arrière. Je suis d’ores et déjà, ma Violette, un îlien, prêt à prendre racine… »  (P.149)   L’étranger qu’il était hier devient un entrepreneur au même titre que d’autres expatriés qui exploitent, sur l’île, leurs petites entreprises.  Cette nouvelle identité dont il se réclame, se décline en deux temps : son statut social d’entrepreneur et le dépassement de sa condition culturelle française. Une « intégration » sans encombre dans la société d’accueil, la Réunion.  Maintenant que le sel est sorti sur une pointe rocailleuse; maintenant que des longues semaines ont scellé sa connivence avec Louise; maintenant qu’il s’est senti chez lui, Axel Brieuc foisonne d’idées aussi belles que constructives. A l’activité principale de la saline succédera la mise en culture de la canne. Une fois les pieds sur terre, une unique pensée l’habitera: « Je veux Louise pour seul et modeste -ou grandiose- destin. Je n’espère, je n’attends rien d’autre que de vivre sous son regard, que de mettre mes bras à son service quotidien et mes mains, peut-être, à celui de son plaisir. » (P.176)

Avant une fin tragique.

  Or donc, cette « femme de chair, humaine et vraie » dont il était devenu l’amant adultérin ne l’accompagnera pas longtemps. Leur existence sera faite de malheureux épisodes. En dépit d’un amour solide et sans faille, au fil des années, Louise se révélera une personne fragile. Elle donnera à Axel une fille, Violette, dans les douleurs et l’effarement de l’enfantement. Elle ne tardera pas d’apprendre la mort de Théophile de Lygnes, le mari légitime, des suites d’une syphilis contractée dans des escapades amoureuses. Ayant, à son tour, contractée  la même syphilis, Louise de Lygnes plongera, après son accouchement, dans une sorte de veille léthargique. Sa fille Violette sortira sauve de cette maladie, contrairement aux autres enfants que « Mme Lygnes avait précédemment accouché et qui n’avaient pas bénéficié de cet heureux sort, n’ayant survécu que quelques semaines en l’état de prématurés contrefaits. » (P.261) Louise de Lygnes restera longtemps allongée sur la méridienne, parlant à peine, nourrit de bouillies. Un jour, éprise de force, elle profitera de l’inattention de ses proches pour aller se jeter à la mer. A sa disparition, Axel Brieuc devint officieusement le père de substitution de Violette; il devint officiellement son tuteur légal, sur la foi d’un document signé par le notaire. Axel vivra un deuil sans fin. Il se consolera de voir grandir sa fille dans les bras de Lili, la femme de chambre. Il quittera l’île pour de longues années et n’y reviendra que pour le mariage de sa fille. Une énième occasion de nager, seul, dans cette eau qui lui rappellera « d’anciennes caresses, douces, fluides et voluptueuses. »

« Sur Feuille de Songe… » vit au rythme soutenu d’une intrigue originale, sur fond d’une fine observation de la vie et de la végétation réunionnaise et d’une analyse psychologique des personnages.  Chaque scène est décrite dans des couleurs magnifiques, des sons perceptibles et des lumières fortes. Les dialogues sont coupés de brèves, et parfois de longues descriptions de personnages et de lieux aussi sensibles que frappantes. Loin d’être lié à une quelconque nostalgie, « Sur Feuille de Songe… » conte les moments clés d’un secret de famille. Un fond et une forme emballés dans une consécution logique des parties. Agréable à lire.

Originaire du Périgord, Catherine Pinaly vit depuis une vingtaine d’années à La Réunion où elle est enseignante.  « Sur Feuille de Songe… »aux éditions L’Harmattan. ISBN : 978-2-296-55132-9 • juin 2011 • 288 pages

Cikuru Batumike

 

 

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Article paru dans le Journal de l'Ile de La Réunion le 10 octobre 2011 :

 

 

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